Jean Dypréau

Publié le par Wout Hoeboer


Si l'expression "art moral", tel que l'a définie Julien Alvard, garde de nos jours un sens, à quelle oeuvre pourait-elle s'appliquer mieux qu'à celle de Wout Hoeboer?

Imprégnée toute entière de l'intransigeance contestataire et libertaire du dadaïsme, d'un refus de céder aux sortilèges des styles et du carriérisme pictural, de ce sournois académisme aussi qu'ont sécrété les multiples avant-gardes, elle reste lisible au présent comme un manifeste vécu dans son souci de préserver son autonomie, cette inclassable dignité de celui qui rejette toute entrave.

C'est peu dire que Wout Hoeboer s'est tenu à l'écart de la foire aux ambitions, des spéculations du marché, de la kermesse aux honneurs, il donne au phénomène de marginalité du créateur une signification exemplaire.

On dira demain comment son dialogue ininterrompu avec l'objet, celui qu'il établit entre l'objet et la peinture, s'est renouvelé par de successives approches, par de subtiles métamorphoses.

On suivra l'itinéraire d'un solitaire dans le dédale de ses visions, de ses phantasmes, de ses rencontres, de ses illuminations.

On découvrira avec lui encore le chemin de l'amitié. Dans sa patrie d'élection, comme en Italie, c'est elle qui lui permettra de définir ses options, de manifester haut et clair sa solidarité avec tous ceux qui, selon le voeu de Camille Bryen, interdisent d'interdire.

Il y a plus de vingt ans (1959), je le filmais au milieu de ses amis de Phantomas, à côté de Théodore Koenig, son plus fidèle défenseur.

Je le trouvais en 1957 déjà avec les deux animateurs de l'"Art.e Nucleare", Enrico Baj et Sergio Dangelo. Avec eux il signe la même année le Manifeste "Contre lo stile" qui prolonge celui de 1952 ou s'amorçait le combat "contre toute concession à toute forme quelconque d'académisme". Près de son nom on retrouve ceux d'Yves, d'Arman, de Piero Manzoni et de tous les cadets qui, comme lui, ouvriront de nouveaux horizons à l'aventure de l'objet.

Mais c'est toujours l'héritage de Dada qu'il voulut préserver, identifiant son apport à diverses explorations des nouvelles générations, dénombrant les découvertes qu'il encouragea dans le domaine des techniques nouvelles, des indispensables provocations, des plus téméraires initiatives.

Son destin voulait qu'il se retrouva à la fin de sa vie au centre d'un constat qui mettait l'art lui-même en question, qui allait jusqu'à assimiler l'art et la question, qui osait envisager la mort de l'art, qui allait permettre à celui-ci de se détacher des problèmes de sa mise en oeuvre pour sauvegarder sa signification conceptuelle.

Jean Dypréau

(Jean DYPRÉAU, « Si l’expression « art moral »... » in : Hommage aan Wout Hoeboer 1910-1983, Antwerpen, Internationaal Cultureel Centrum, 1983, catalogue)



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