Henri-Floris Jespers

Publié le par Wout Hoeboer

Parcours biographique


« Désancrer en nous cette matière qui veut rêver »

(Gaston Bachelard)


Wout Hoeboer naît à Rotterdam, dans le Crooswijk, le 14 février 1910. Son père, tailleur, est peintre du dimanche. Anecdote combien significative, il se vantera plus tard d’un premier acte dadaïste, consistant à renverser le chevalet de son père. En juin 1924, il s’inscrit à la section des arts décoratifs et appliqués de l’Académie des Arts Plastiques et des Sciences Techniques (aujourd’hui : Willem de Kooning Academie, WdKA). Il y suit vraisemblablement les cours du soir comme, quelques années plus tôt, Willem de Kooning. Durant la journée, il travaille comme commis dans une entreprise. En juin 1926, il change de direction et passe à la section des arts plastiques, où il reçoit une formation toute académique. Il suit les cours, entre autres, de Paul Schuitema et de Piet Zwart, deux artistes-designers d’avant-garde, qui l’initient aux conceptions radicalement modernistes du Stijl, de la « Nieuwe Zakelijkheid » et du Bauhaus.

Hoeboer peint souvent en plein air, la nuit, à la lumière des réverbères. Il étudie l’œuvre de Constant Permeke, de Marc Chagall, de Raoul Dufy, dont il admire les peintures lors d’une exposition à la Haye, en 1927. La même année, Max Ernst, Hans Arp et Salvador Dalì exposent à Rotterdam. Hoeboer réalise son premier relief sur bois. En 1929, il réalise des collages avec des papiers d’emballage. C’est à partir de cette année qu’il collectionne des fragments de papier peint provenant de toutes les demeures qu’il habitera1.

En 1933, il se fixe définitivement à Bruxelles. Il ne reviendra jamais en Hollande, pays qu’il considère désormais comme trop nordique. Pour gagner sa vie, il travaille à l’atelier des Établissements Jean Malvaux où il met au point des techniques d’impression innovatrices (à Anvers, il avait travaillé chez Van de Ven). Après la guerre, Hoeboer créera sa propre entreprise graphique, EOS-gravure, sise rue Général Eenens à Schaerbeek. Il travaillera également à la Photogravure Apers, rue du Houblon.

Habitant initialement à Dilbeek, Hoeboer s’y lie rapidement d’amitié avec Jean Brusselmans, son voisin. Il est séduit par le réalisme synthétique du peintre, par ses compositions librement ordonnées mais toujours constructives, toutes faites de plans et d’horizontales. Sous l’influence de Victor Servranckx, qu’il fréquente assidument, et de la lecture de Über das Geistige in der Kunst de Wassily Kandinsky, Hoeboer compose en 1936 ses premières œuvres abstraites. Il expose une vingtaine de pièces à la galerie Center à La Haye. Ceci dit, tout engagement doctrinaire ou scolastique lui reste fondamentalement étranger et, refusant toute allégeance, il entend sauvegarder une totale liberté.

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Contrairement à la pratique dadaïste – chaque Dada faisant figure de « Président » de la nébuleuse –, le premier Manifeste du surréalisme (1924) reprend une liste bien précise des écrivains qui « ont fait acte de surréalisme absolu ». Mais André Breton consent à reconnaître (et donc à revendiquer) des surréalistes partiels : Victor Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête, Jarry est surréaliste dans l’absinthe et Saint-John Perse est surréaliste à distance – pour ne citer que ceux-là.

Hoeboer incarnera cet outsider, cet « homme au dehors », auquel Colin Wilson consacra un retentissant essai2. Il ne sera d’aucune école, mais participera, dans sa vie et dans son œuvre, de cet esprit profondément Dada qui ne se laisse pas domestiquer, pas même par les thuriféraires et moins encore par les embaumeurs.

Mieux que quiconque, Jean Dypréau a tiré le portrait de cet esprit libre s’il en est :


Si l’expression « art moral », tel que l’a défini Julien Alvard, garde de nos jours un sens, à quel œuvre pourrait-elle s’appliquer mieux qu’à celle de Wout Hoeboer ?

Imprégnée tout entière de l’intransigeance contestataire et libertaire du dadaïsme, d’un refus de céder aux sortilèges des styles et du carriérisme pictural, de ce sournois académisme aussi qu’ont sécrété les multiples avant-gardes, elle reste lisible au présent comme un manifeste vécu dans son souci de préserver son autonomie, cette inclassable dignité de celui qui rejette toute entrave3.


Après la guerre, en 1947, Hoeboer expose à la galerie Saint-Laurent à Bruxelles et à Brême, galerie Löwer. Il rencontre Christian Dotremont (1922-1979) et fait la connaissance du groupe des Surréalistes-Révolutionnaires. Il participe à l’exposition « Peintures, scuptures et arts décoratifs de maîtres belges et étrangers » organisée par la Maison de la Presse Communiste à Bruxelles4 et à « Hedendaagse Plastische Kunst », chez Breckpot à Anvers. La Galerie Saint Laurent accueille une exposition personnelle de Hoeboer.

À partir de 1948, il fréquente non seulement de vieux routiers des avant-gardes, tels Paul Nougé (1895-1976), l’éminence grise du premier groupe surréaliste en Belgique ; Gérard Van Bruaene (1891-1964), , dit « Petit Zérard » ou « Gérard le bistrot », l’ancien associé de Paul Van Ostaijen, qui estimait que ses compatriotes et lui-même ne sont pas assez rien du tout ; Marcel Lecomte (1900-1966), compagnon de route mais à distance des surréalistes, qui fit du règne de la lenteur une expérience fulgurante ; ou encore Paul Colinet (1896-1957), dont le premier livre, Les histoires de la lampe (1942), fut publié par Paul Neuhuys aux éditions Ça Ira ; mais également les fondateurs de la revue Phantomas (1953), prolongement à sa manière de Cobra :  deux membres du Collège de ‘Pataphysique, Joseph Noiret (1927) et Marcel Havrenne (1912-1957), et Théodore Kœnig (1922-1997); ou encore Pol Bury (1922-2005), Marcel Mariën (1920-1993), historien du surréalisme belge dont il se voulut le dépositaire et le gardien d’une orthodoxie intransigeante ; et enfin, ces irréguliers farouchement flamboyants, les frères Piqueray, Marcel (1920-1997) et Gabriel (1920-1992) ; sans oublier un jeune poète méconnu, Marcel Broodthaers (1924-1976).

Karel Appel et Corneille explorent la jungle exotique des cafés bruxellois en compagnie de Wout Hoeboer, et celui-ci initie Asger Jorn au steak américain frite – une invention de Joseph Niels, le père d’Albert Niels, collectionneur éclairé, providence de la bohème bruxelloise et propriétaire d’un restaurant renommé, le Canterbury, boulevard Emile Jacqmain, où E. L. T. Mesens tiendra table ouverte. « Des artistes aujourd’hui célèbres subsistaient, grâce à lui, à l’époque des vaches maigres », témoigne le peintre et typographe Corneille Hannoset (1926-1997). On y a pu faire ses délices de la « poularde à l’ail K. Appel », ou de cette création bien typique de Mesens, « la poularde à l’absinthe », « tôt disparue de la carte, chassée par un arrêté de loi réglementant la teneur en alcool des aliments5 ».

En 1949, Hoeboer participe à l’exposition « La Fin et les Moyens », à la très modeste galerie du Séminaire des Arts (Palais des Beaux-Arts, du 19 au 28 mars) :


Le deuxième numéro de COBRA (mars 1949), publié à Bruxelles, témoigne de ce que l’on peut appeler un état d’esprit : il contient le catalogue de l’exposition La Fin et les Moyens, qui rassemble [...] des tableaux, des dessins, des objets d’Alfelt, Appel, Bille, Bourgoignie, Bury (peintures encore surréalistes), Corneille, Dotremont, Doucet, Stephen Gilbert, Wout Hoeboer qui se définira plus tard comme « le dernier dadaïste », le Tchèque Istler que le régime communiste éloignera bientôt de nous, Jacobsen, Jorn, Constant (objets en bois peint), Noiret, Pedersen, Selim Sasson, Wiggers et Robert Willems.6


S’il y a des fugitifs de Cobra, Hoeboer, lui, sera fugitivement Cobra – sinon furtivement.

En 1951, il expose à la Galerie Saint Laurent. Le texte du catalogue est signé W. Williams (un pseudonyme derrière lequel se cache l’artiste). L’année suivante, il occupe à nouveau les cimaises de la galerie Saint-Laurent. Lors de l’exposition « Arte Nucleare » à la galerie Apollo à Bruxelles, il connaîtra Enrico Baj, futur Docteur Hylosophique et Satrape du Collège de ‘Pataphysique, ainsi que Sergio Dangelo, rencontre décisive celle-là, qui sera le début d’une longue amitié ponctuée d’échanges d’idées et de lettres. C’est en février 1952 à Bruxelles que Baj (1924-2003) co-signa avec Dangelo le Manifeste de la peinture nucléaire. En 1953, en réaction au formalisme géométrique et glacé du nouveau Bauhaus de Max Bill, il participera à la naissance du Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste (MIBI), qui s’opposait aux théories fonctionnalistes et au concept d’ « artiste-créateur », producteur d’objets industriels.

En 1956, Phantomas publie pour la première fois des reproductions d’œuvres de Hoeboer, qui fait la connaissance de deux anciens des avant-gardes, Paul Neuhuys (1897-1984) et E. L. T. Mesens (1903-1971), ainsi que des peintres Gianni Bertini (1932) et Piero Manzoni (1933-1963), pionnier de l’Arte Povera et de l’art conceptuel. Hoeboer élabore avec Aubin Pasque la couverture de temps mêlés. Hoeboer expose à Bruxelles à la galerie Le Verseau et au Vlaamse Club. Un texte de Théodore Kœnig, Un rêche toucher de laine, introduit son exposition à la Galerie du Théâtre de Poche.

En 1957, tient une exposition individuelle à la Galerie Le Rouge et le Noir, à Charleroi, Hoeboer élabore une invitation sous forme d’emballage pour médicaments. Dans la NRF, Jean Paulhan évoquera une enviable rencontre entre Zen et Dada. Il expose également à L’Atelier et participe avec Baj, Dangelo et le groupe Phantomas, à l’exposition « Anti-Dada » à la galerie La Proue. L’invitation est une serviette essuie-bouche en papier signée Hoeboer et maculée de textes volontairement scindés pour les rendre illisibles. Il expose Les Lèvres, œuvre datée de 1910 – l’année de sa naissance. Il signe le retentissant manifeste de Gruppo Nucleare Contre le style.7

Pour son exposition à Charleroi (Galerie Le Rouge et le Noir) en 1958, Hoeboer
tire des gravures dans son atelier sur sa presse à bras. C’est un de ces bois qui illustre la couverture du premier numéro de la cinquième année de la revue anversoise De Tafelronde. Il publie paf no 1 et paaf no 2 dans Phantomas et, dans le numéro de temps mêlés dédié à Son Excellence Don Francisco Martinez de Picabia della Torre et au Président Dada Clément Pansaers, un superbe Hommage à Picabia. Il rend visite à Paris à Édouard Jaguer (1924-2006)
8, et collabore au premier numéro de Plus, la revue de Serge Vandercam.

Bien que Hoeboer, personnage inclassable, franc-tireur créant non pas dans une splendid isolation mais dans une solitude sereine, se tienne toujours à l’écart, en dehors, par exigence morale, certes, mais aussi par vocation et par goût, par ce besoin de liberté chevillé au corps, il semble multiple et omniprésent. En 1959, il expose à Bruxelles, à La Proue ; à Anvers, au CAW ; et à Paris, à la Galerie Le Soleil dans la tête. Il publie un bois dans le numéro Gedicht en grafiek 59 de la revue De Tafelronde. Mais 1959 sera surtout l’année du cinéma. Il participe au film Dada-Belgium de Jean Dypréau et interprète un rôle dans L’Imitation du Cinéma, film de quarante minutes, écrit et réalisé par Marcel Mariën, qui s’en prend au fétichisme de la croix et à l’obsession du sacrifice.

Ce film anticlérical fera date « dans la maigre histoire du cinéma surréaliste en Belgique9 ». Wout Hoeboer y apparaît en mendiant aveugle (Tom Gutt en Jésus-Christ, et Paul Bourgoignie en Sigmund Freud). La DOCIP, organisme catholique de la censure cinématographique, sera catégorique : ce « film ignoble et infâme [...], privé de toute valeur artistique, est sans doute l’œuvre d’un psychopathe ». Ce commentaire sera largement repris dans la presse. La première projection fit l’objet d’une plainte déposée au parquet de Bruxelles. Elle n’était toutefois pas recevable. Le film sera interdit en France.10

En 1960, il expose une série de collages au Rouge et le Noir à Charleroi. L’année suivante, il collabore au numéro de Fantasmagie consacré au collage. Marcel Lecomte y publie un de ces textes dont il avait le secret :


Les collages de Wout Hoeboer sont constitués le plus souvent d’éléments doubles. Peut-on dire qu’ils soient, dans chaque œuvre accomplie, à la recherche l’un de l’autre ? Manifestement ils se perçoivent, s’observent, prévoient leur accord avec le désir de durer dans cet accord et de transformer l’instant en richesse. L’on voit bien qu’ils n’ont de sens, de portée que l’un par l’autre. L’on ne peut dire qu’ils soient toujours inverses l’un de l’autre. Ils se tiennent parfois dans une certaine distance mais en relations nécessaires de lumière et d’ombre. Ils ne se marquent pas d’images anthropomorphiques.

S’il leur arrive cependant de se répondre à la manière du texte inversé de la Table d’Émeraude, et de montrer qu’ils sont de haut en bas pour le miracle d’une seule chose, l’on voit alors leur matière se transmuter. Elle se fait l’inépuisable en suspens.11


En 1962, Hoeboer est repris dans l’important dictionnaire Arte nucleare / Nuclear Art d’Arturo Schwarz12. Il participe avec Les Machines Hurlantes à l’exposition « Cobra et Après » au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Pour son exposition à la galerie La Madeleine en 1963, Marcel Lecomte écrit Formes et espaces chez Wout Hoeboer13. L’année suivante, il expose à nouveau à la Galerie Saint Laurent, réalise un livre de haut luxe et de toute beauté : Antinomies de Théodore Koenig, un in-4° en feuilles, 22 ff. de vélin fort, qui paraît à vingt exemplaires nominatifs tirés à la main et quelques exemplaires H.C.

Sur la maquette originale, Hoeboer stipule à l’encre :


Les auteurs certifient que le présent ouvrage est la maquette originale et authentique de Antinomies. Les textes sont notamment exécutés ici au pochoir lettre par lettre alors que, dans les autres exemplaires, lesdits textes sont exécutés par planches entières confectionnées au pochoir.


Les pochoirs de Hoeboer (technique qu’il maîtrisait à la perfection) « donnent la douce illusion de papiers coupés avec leurs bords effrangés », constate le libraire parisien Nicaise, qui propose aujourd’hui la maquette originale à 3.650 euros.

1964 sera également l’année de son premier voyage en Italie. À Calice Ligure, une bourgade à six kilomètres de la mer, dans la province de Savona, il rencontre le peintre et sculpteur Emilio Scanavino (1922-1986) qui y tient un atelier. (Il s’y cristallisera une colonie d’artistes et de critiques d’art qui, joignant leurs forces avec un groupe analogue établi à Albisola, fera de cette partie de la Ligurie un pôle d’attraction artistique.) Durant l’été, il travaille à Eze, entre Nice et Monaco.

En 1965, temps mêlés publie une livraison intitulée Art d’Extrême Occident. Hoeboer y collabore et participe à l’exposition éponyme au Musée de Verviers et à la galerie Les Contemporains à Bruxelles. Théodore Kœnig rédige le catalogue pour l’exposition de l’A.P.I.A.W. à Liège qu’il signe de Héroïk Gédeont.

L’année suivante, Hoeboer visite la Corse dont il ramène une série d’albums de dessins, Souvenirs sur le vif. En 1968, à l’exposition de l’Association des galeries d’art de Belgique , il présente une œuvre constituée de vingt board printings réunis, recueil de gravures uniques intitulé Je vis, ça me suffit et, en 1969 à la galerie Le Miroir d’Encre, des collages et un projet de monument, La Liberté. Pour la Oecumenische Gemeenschap à Bruxelles, il réalise en 1970 un relief mural de 2 x 4 mètres en bois. Il rencontre Massimo Radicioni (1942), directeur de l’éphémère revue bimestrielle Egolalia, dont le premier numéro, auquel Hoeboer collabore, paraît en avril 1971. Il expose à Bruxelles à la galerie Montjoie, et à Bruges, à la galerie Flat 5. Sous le titre « Imballo perduto» (emballage perdu), Hoeboer expose des collages à Calice Ligure, à la galerie Il Punto. La galerie Regis, à Calice Ligure, expose des collages en 1972. À Milan, il participe en 1973 avec e.a. Marcel Mariën et Sergio Dangelo, à l’exposition collective « Il mondo in vetrina»  (le monde en vitrine) à la galerie Pilota.

En 1975, il expose à la galerie Flat 5 à Bruges et réalise la couverture du catalogue de l’exposition «  Phantomas » au musée d’Ixelles, à l’occasion du 21ème anniversaire de la revue. Mais l’année est surtout placée sous le signe de ce perpétuel bleu du ciel en terre d’Italie qui séduit et obsède Hoeboer. Il y rend explicitement hommage dans une œuvre (Ouverture du bleu) qu’il peint et colle dans un entrepôt de la via Torchio à Milan.  Il rencontre l’écrivain Vincenzo Accame (1932-1999), promoteur de la Nuova Scrittura et traducteur de Jarry. Sous le titre PAMAPADADA, Hoeboer expose à la galerie Il Traghetto de Venise et à la galerie Il Salotto de Como. L’exposition est présentée par l’important critique et historien d’art Roberto Sanesi (1930-2001). Le texte Lo straordinario caso di Wout Hoeboer  est publié dans Le Arti. Sanesi y souligne que si le terme « stratégie » ne sonnait pas par trop rationnel, la démarche créative de Hoeboer pourrait être raisonnablement qualifiée de « stratégie de la discontinuité (à ne pas confondre avec l’éclectisme) ». D’autre part, son langage plastique est déviant et, de plus, Hoeboer tend toujours vers la réconciliation, ou mieux encore, vers « une fusion qui permettra de maintenir intacte la physionomie des éléments interdépendants ». Il s’efforce de maintenir un difficile équilibre dans lequel les contradictions puissent cohabiter14.

En 1976, Hoeboer emménage dans un des ateliers Mommen, le Bateau-Lavoir de Bruxelles. Il mènera dorénavant une vie d’anarchie dadaïste totale. En compagnie de Théodore Kœnig, il visite l’exposition « Picabia » aux Galeries du Grand Palais de Paris.

Une monographie de luxe, Œuvre et vie de Wout Hoeboer, est publiée en mai 1977 par les éditions Acoustic Phantomas museum. Pour le livre Désécrytures délirantes d’André Miguel (Bruxelles, édition Cyclope, décembre 1979), Hoeboer réalise six dessins et la couverture.

En 1980, il expose des tableaux-collages-gouaches à la galerie Le Miroir d’Encre à Bruxelles. L’année suivante, la galerie milanaise Zarathustra organise une exposition rétrospective, « Pamapadada, je vis ». Dans le catalogue, des textes d’Accame, de Dangelo, de Kœnig et de Sanesi.

Hoeboer décède le 16 juillet 1983 dans son atelier de la rue de la Charité, où il vivait et travaillait dans une solitude hautement affirmée.


 

Solitude imperturbable, “inclassable dignité…”


Il y aurait un volume à écrire sur la psychogéographie des avant-gardes. Évoquant ici le Bruxelles de Cobra, de l’art nucléaire, des premières expositions d’Hoeboer à la galerie Saint-Laurent, il s’agit, ne l’oublions pas, d’une ville d’avant le déluge de la moitié des années cinquante. Cette destruction devait définitivement engloutir le charme d’une époque. Elle sera couronnée par la kermesse universelle de 1958 et par l’ère des promoteurs qui de l’ancien firent du neuf avant de faire du neuf de l’ancien. Et si les avant-gardes sont la mauvaise conscience de leur temps, elles sont aujourd’hui bien récupérées, réduites à la réification monétaire et à la marchandisation universelle.

C’est dans une solitude sereine et imperturbable qu’Hoeboer, participant furtif, a traversé les querelles et rivalités de clans et de personnes, les tentatives avouées ou secrètes de délimitation et d’appropriation de territoire, ces orages qui ne furent somme toute que tempêtes dans un verre d’eau. Il n’en retiendra sans doute que la chaleur des rencontres fortuites, dont la nécessité n’apparaît qu’après coup, comme il se doit.

C’est Jean Dypréau qui, mieux que quiconque, cernera la démarche et l’itinéraire de ce créateur en proie aux contradictions du siècle, et qui les vécut toutes avec cette distance concernée qui est le signe distinctif de l’homme foncièrement créateur :


C’est peut dire que Wout Hoeboer s’est tenu à l’écart de la foire aux ambitions, des spéculations du marché, de la kermesse aux honneurs, il donne au phénomène de marginalité du créateur une signification exemplaire.

On dira demain comment son dialogue ininterrompu avec l’objet, celui qu’il établit entre l’objet et la peinture, s’est renouvelé par de successives approches, par de subtiles métamorphoses.

[...]

On découvrira avec lui encore le chemin de l’amitié. Dans sa patrie d’élection, comme en Italie, c’est elle qui lui permettra de définir ses options, de manifester haut et clair sa solidarité avec tous ceux qui, selon le vœu de Camille Bryen, interdisent d’interdire.

[...]

Mais c’est toujours l’héritage de Dada qu’il voulut préserver, identifiant son apport à diverses explorations des nouvelles générations, dénombrant les découvertes qu’il encouragea dans le domaine des techniques nouvelles, des indispensables provocations, des plus téméraires initiatives.


Ce texte paraît dans le catalogue de l’exposition « Hommage aan Wout Hoeboer 1910-1983 » à l’I.C.C. (Internationaal Cultureel Centrum) à Anvers, une rétrospective organisée à partir du 17 septembre 1983 avec des œuvres de la collection du P.M.M.K. (Provinciaal Museum voor Moderne Kunst) à Ostende.

Willy van den Bussche, conservateur du PMMK, souligne que l’oeuvre de Hoeboer remet en mémoire le Merzkunst de Kurt Schwitters, à qui Hoeboer rendit à plusieurs reprises un hommage explicite. Van den Bussche rappelle que Hoeboer avait rencontré Schwitters à Hannovre, lors de son séjour chez ses beaux-parents, qui habitaient la même rue que Schwitters. Selon Van den Bussche, c’est l’isolement choisi et revendiqué de Hoeboer, son caractère intransigeant, son mépris des conventions et de l’establishment qui explique qu’il n’occupe pas la place qui lui revient :


Hij wilde niet alleen vormelijke dingen maken die Dada weerspiegelden maar hij wilde ook leven naar de geest van Dada wat wil zeggen dat hij de volkomen anarchie nastreefde met de allures van een dandy15.


Je n’ai qu’entrevu Hoeboer, en 1963 ou 1964, dans les environs de la place Saint-Jean. C’est Marcel Lecomte qui me le désigna. Je connaissais son nom, je ne connaissais pas son œuvre, mais je fus immédiatement frappé par cette allure d’hidalgo qui était également celle de Paul Joostens.

Mais il y a plus, et c’est encore à Jean Dypréau que revient le mérite d’avoir cerné une problématique quelque peu paradoxale sinon tragique, qui fait que la démarche même de l’artiste participe et contribue à son effacement :


Son destin voulait qu’il se retrouva à la fin de sa vie au centre d’un constat qui mettait l’art lui-même en question, qui allait jusqu’à assimiler l’art et la question, qui osait envisager la mort de l’art, qui allait permettre à celui-ci de se détacher des problèmes de sa mise en œuvre pour sauvegarder sa signification conceptuelle.


Hoeboer sera donc en quelque sorte le précurseur, le promoteur et l’artisan d’un virage qui remet son œuvre en question.

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La galerie Il salotto à Como lui rendra hommage en 1987 sous le titre « Aprile con Wout », et la galerie bruxelloise Le Sacre du Printemps lui consacra un « On Man Show » à Linéart à Gand, en 1989. L’œuvre de Hoeboer sera également représentée dans des expositions collectives à Amsterdam (Brakke Grond, 1984), à Ostende (P.M.M.K., 1985), à Como (Il salotto, 1987, 1989, 2001) et à Bruxelles (Musées Royaux des Beaux-Arts, Misée d’Art Moderne, 1989 ; Le Sacre du Printemps, 1991 ; Quadri Gallery, 2001).

Enfin, l’Institut royal pour la Gestion durable des Ressources naturelles et la Promotion des Technologies propres (IRGT) organisa, de décembre 2006 à février 2007, en collaboration avec le Musée René Magritte de Jette et avec le soutien de la galerie J.-P. Alaerts, une exposition Hoeboer de près de soixante œuvres (huiles, papiers, collages, sculptures).

Luc Neuhuys fait état d’ « une soirée dada tout à fait inattendue » :


Le clou de la soirée fut de retrouver la fille et la petite-fille de Wout Hoeboer, qui se souvenaient des visites que je lui rendais lorsqu’il habitait encore à la rue Mellery (juste à côté du palais royal) quand il fabriquait des marionnettes (elles sont au PMMK aujourd’hui) pour la pièce de théâtre de mon père : Les enfants de colère.16


Les nombreux invités au vernissage furent accueillis par S.A.R. le prince Laurent.

Bruxelles, la ville dont le prince est un Dada.

 

Henri-Floris Jespers


(cf. Henri-Floris JESPERS, " Wout Hoeboer (1910-1983)" dans:  Connexion, revue d'art et de littérature, Bruxelles, n°6)



1 Pour être complet sur cette période, signalons que Roberto Sanesi est le seul critique à évoquer un contact entre Wout Hoeboer en 1930. Cf. Roberto SANESI, Chi è Wout Hoeboer ? Testo di presentazione della mostra “PAMAPADADA” personale di Wout Hoeboer con 100 opere (disegni, acquaforti, pitture, collages, oggetti realizzati tra il 1927 e il 1975) presentata alle galleria Il Salotto di Como dal 27 settembre al 10 ottobre 1975. Archivio Attivo Arte Contemporanea. www.caldarelli.it  

2 Colin WILSON, The Outsider, London, éd. Victor Gollancz, 1956. Traduction française: L’homme en dehors, Paris, éd.Gallimard, 1956.

3 Jean DYPRÉAU, « Si l’expression « art moral »... » in : Hommage aan Wout Hoeboer 1910-1983, Antwerpen, Internationaal Cultureel Centrum, 1983, catalogue.

4 À propos de cette extraordinaire exposition, cf. Colette FONTAINE, Bob Claessens. Le temps d’une vie, Bruxelles, éd. Fondation « Bob Claessens »-Fonds et les Éditions du Cercle d’Éducation Populaire, 1977, pp. 193-196.

5 Corneille HANNOSET, taptoe, Bruxelles, Editions d’Art Laconti, 1989, non paginé.

6 Joseph NOIRET, ChronoCobra. Feu Cobra va bien, merci, et vous?, Bruxelles, éd. Didier Devillez, 2001, pp. 22-23.

7 La liste des signataires du manifeste trilingue Contro lo stile/ Contre le Style/ The End of Style (Milan, 1957), fait figure d’un véritable gotha de l’avant-garde : Arman, Enrico Baj, Bemporad, Gianni Bertini, Jacques Calonne, Stanley Chapmans, Mario Colucci, Dangelo, Enrico de Miceli, Reinhout D'Haese, Wout Hoeboer, Hundertwasser, Yves Klein, Theodore Koenig, Piero Manzoni, Nando, Joseph Noiret, Arnaldo Pomodoro, Gio Pomodoro, Pierre Restany, Saura, Ettore Sordini, Serge Vandercam, Angelo Verga.

8 On ne saurait assez souligner l’action internationale de Jaguer (et son importance pour les avant-gardes belges). Cf le numéro d’hommage d’Infosurr. Le surréalisme et ses alentours, no 69, mai-juin 2006.

9 Olivier SMOLDERS, « Cinéma et surréalisme en Belgique », in : Textyles no 8. Surréalismes en Belgique, 1991, pp. 269-281.

10 Marcel MARIËN, Le Radeau de la Mémoire. Édition pirate parce que complète, Bruxelles, Édition de l’Auteur, 1988, pp. 168-171.

11 Marcel LECOMTE, «  Wout Hoeber », in : Fantasmagie, no 8, décembre 1961, p. 10.

12 Arturo SCHWARZ, Arte nucleare / Nuclear Art, Milano, New York, Paris, Stockholm, Galleria Schwarz, en collaboration avec Marcello Maestro, éditions Vilo & Eric Diefenbronner, 1962, 2 volumes.

13 Marcel LECOMTE, Le Regard des Choses, Bruxelles, éd. Labor, 1992.

14 Cf. note 1.

15 Traduction : Il entendait non seulement créer des objets qui reflétaient Dada, mais voulait aussi vivre selon l’esprit de Dada, c’est-à-dire qu’il visait une anarchie complète avec des allures de dandy.

16 L.N., « En bref », in Bulletin de la Fondation Ça Ira, no 28, 4ème trimestre 2006, pp. 40-41. Les marionnettes datent de 1971.

 


 

(Henri-Floris JESPERS, "Wout Hoeboer" dans: Connexion, n°6, Bruxelles)

www.revueconnexion.over-blog.com

 


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